Richard Pithouse, Pambazuka
La dégénérescence de l’African National Congress a atteint le point où,
aujourd’hui, il pose un clair danger pour l’intégrité de la société.
Julius Malema est l’un des exemples les plus illustratifs de la manière
dont un mouvement engagé dans la libération nationale est devenu, selon
les termes de Franz Fanon, « un moyen pour l’avancement personnel ».
Mais Mlema n’est guère seul. Le Communication Workers Union (syndicat de
la communication) a entièrement raison lorsqu’il diagnostique ‘’un
Keeble-isme profondément enraciné’’ à l’intérieur de l’ANC ( en
référence à Brett Kebble, un homme d’affaire sud africain à la
réputation sulfureuse - NDLT)
Récemment, il a été révélé que Nonkululeko Mhlongo, mère de deux des
enfants de Jacob Zuma, dispose de contrats de plusieurs millions de
rands pour l’approvisionnement du KwaZulu Natal. L’épouse et la fille de
Zweli Mkhise ont remporté un appel d’offre de 3 millions de rands du
Department of Correctional Services. Ce genre de chose se produit depuis
des années et ne peut être attribué à quelques individus
problématiques. Au contraire, dans des cas comme celui des transactions
concernant des armes et le double jeu de Valli Moussa entre Eskom et le
comité de recherche de fond de l’ANC, l’organisation dans son ensemble a
été profondément compromise. L’ANC a aussi été collectivement
compromise pour avoir omis systématiquement de prendre une position
claire à l’encontre des individus impliqués dans ces pratiques
douteuses.
Il est peut-être vrai que le poisson pourrit par la tête, mais il est
essentiel que nous comprenions que la dégénérescence de l’ANC n’est pas
juste le fait de l’accroissement de pouvoir d’une élite prédatrice à
l’intérieur du parti. Il fût une époque où l’on imaginait le pouvoir
comme le moyen pour un projet collectif et politique de transformer la
société depuis le bas. Et c’est maintenant compris à tous les niveaux du
parti, que c’est le moyen pour l’incorporation personnelle, dans une
minorité déterminée, pour profiter des inégalités croissantes de la
société. Ce processus effrite un peu la domination raciale, mais ne
laisse guère de place à l’espoir pour une société meilleure, si c’est là
que se situe la limite de nos aspirations.
L’ANC a abandonné le langage de la justice sociale au profit d’un
langage fantaisiste post-politique : ‘’livrer’’. Ce langage suppose
qu’il suffit à l’Etat de satisfaire aux besoins élémentaires de survie
et que cela est simplement une question d’efficience technique. Le
premier problème avec le langage de livreur est que la livraison
elle-même est souvent une stratégie pour contenir les aspirations
populaires plutôt qu’une stratégie pour favoriser un épanouissement
humain universel. Larguer les gens dans’’ des opportunités
d’habitations’’ dans des ghetto périphériques, où il y a peu d’espoir
pour plus qu’une assistance pour les enfants et la possibilité ‘emploi’’
à court terme, peut aider à éviter que les gens descendent dans la rue.
Mais ceci n’est du développement que dans le sens le plus pervers du
terme. Le second problème c’est que la fantaisie de développement comme
question post politique de gouvernement qui travaille plus vite, plus
dur et plus intelligemment, ne parvient pas à prendre en compte les
réalités profondément politiques qui forgent toute tentative de
développement.
Des décisions politiques doivent être prises pour résoudre des questions
comme de savoir si les valeurs sociales de la terre et des services
doivent prévaloir sur leurs valeurs commerciales. Lorsque ces questions
ne sont pas prises en compte ’’les services’’ ne peuvent être acheminés
que vers les marges de la société et contribuent ainsi activement à la
marginalisation.
Mais la nature politique inévitable du développement ne concerne pas
seulement les intérêts des pauvres d’un côté et d’autre part le pouvoir
des riches et des multinationales. Il y a aussi un jeu politique qui se
joue entre les gens sur le terrain et les élites locales du parti.
Souvent, des fonctionnaires, s’efforçant en toute bonne foi de suivre
les directives des politiciens importants, voient leurs efforts pour
implanter un développement technologique détournés par l’élite locale du
parti à leur seul profit.
Ceci n’est pas toujours simplement du pillage. Souvent l’allocation de
maison et de service ainsi que les contrats qui font partie du processus
sont subordonnés à un système de clientélisme et de patronage par
lequel l’ANC cimente le soutien politique au parti au niveau local. Dans
nombre de cas, les projets de développement justifiés au nom de la
satisfaction des besoins des gens deviennent des projets principalement
orientés vers la consolidation d’alliances au niveau de la base des
structures du parti. Les différents comités, y compris le comité
exécutif de la branche locale, sont peuplés d’une multitude de mini
Malemas.
Selon l’analyse de Fanon, il y a inévitablement un côté autoritaire
sous-jacent qui accompagne la dégénérescence d’un parti en une
entreprise pour l’avancement personnel. Il écrit que le parti ’’aide le
gouvernement à maintenir les gens sous le joug. Il devient clairement de
plus en plus antidémocratique, un instrument de coercition.’’. Un parti
qui dit et qui doit continuer à dire que ce qu’il fait est pour le
peuple, alors qu’en réalité il est devenu un moyen pour l’avancement
personnel grâce à la domination, s’effondrera inévitablement dans la
paranoïa et l’autoritarisme, en tentant la quadrature du cercle, en
prétendant, pour lui-même aussi bien qu’à l’intention des autres, que
l’enrichissement personnel est, d’une certaine façon, le vrai fruit de
la libération nationale.
Dans l’Afrique du Sud contemporaine, il n’est pas du tout inhabituel de
trouver que les gens vivent dans la peur des conseilleurs locaux et de
leurs comités et des comités des branches exécutives. Ce n’est en fait
pas une exagération de dire que nous avons développé un système
politique des deux tiers, avec des droits politiques libéraux pour la
classe moyenne cependant qu’on coupe court aux droits politiques
fondamentaux des pauvres.
Les mouvements politiques des pauvres sont depuis longtemps l’objet
d’une répression violente et illégale de la part des élites politiques
locales qui agissent dans la plus complète impunité. Comme ces pratiques
ont été normalisées, elles n’en prennent qu’une tournure plus
effrontée. Le soutien enthousiaste de personnages clés de l’ANC local et
provincial lors des attaques contre le Abahlali baseMjondolo à Durban,
en septembre 2009, représente un des points les plus bas auquel l’ANC
ait échu dans l’Afrique du Sud post-apartheid. Mais le sort de Chumani
Maxwele, le jogueur du Cap, sur qui la masse de toute la paranoïa et
parfois de la folie de l’ANC s’est abattue, a fait plus qu’aucun autre
évènement pour révéler au grand public l’autoritarisme paranoïde
profondément ancré dans l’ANC.
Il y a naturellement des personnes et des tendances dans le parti qui
sont opposées à la façon dont il est devenu une autre excroissance
prédatrice de la société. Mais l’ANC n’a plus de réelle vision politique
et est profondément, et souvent violemment, méfiante à l’égard de toute
politique qui émerge du bas, que celle-ci provienne de l’intérieur ou
de l’extérieur du parti. Il peut faire des déclarations condamnant la
corruption, mais le fait est que la machine politique par laquelle il
est élu, est systématiquement fondée sur le patronage, le clientélisme
et la corruption. Il ne peut donc pas s’opposer à cela sans
fondamentalement s’opposer à ce qu’il est devenu. Il n’est pas du tout
clair s’il y a une réelle perspective pour que l’organisation développe
une véritable vision politique qui lui permette de se mobiliser contre
elle-même, contre ce que les National Union of Metalworkers (syndicats
de la métallurgie) ont appelé ’’les gangs de maraudeurs’’ qui ont
compromis l’ANC à tous les niveaux. Si toutefois, il est toujours
possible de proposer effectivement une vision politique alternative, il
est fort possible que cette tâche incombe à ces syndicats, aux
mouvements des pauvres et aux Eglises qui sont déjà devenues la
conscience de la nation.