De tous les
humains, le Nègre est le seul dont la chair fut faite marchandise. Au
demeurant, le Nègre et la race n’ont jamais fait qu’un dans l’imaginaire des
sociétés européennes. Depuis le xviiie siècle, ils ont constitué, ensemble, le
sous-sol inavoué et souvent nié à partir duquel le projet moderne de
connaissance – mais aussi de gouvernement – s’est déployé. La relégation de
l’Europe au rang d’une simple province du monde signera-t-elle l’extinction du
racisme, avec la dissolution de l’un de ses signifiants majeurs, le Nègre ? Ou
au contraire, une fois cette figure historique dissoute, deviendrons-nous tous
les Nègres du nouveau racisme que fabriquent à l’échelle planétaire les
politiques néolibérales et sécuritaires, les nouvelles guerres d’occupation et
de prédation, et les pratiques de zonage?
Dans cet essai
à la fois érudit et iconoclaste, Achille Mbembe engage une réflexion critique
indispensable pour répondre à la principale question sur le monde de notre
temps : comment penser la différence et la vie, le semblable et le dissemblable?
Achille Mbembe, historien camerounais, est professeur
d’histoire et de science politique à l’université de Witwatersrand à
Johannesburg (Afrique du Sud). Chercheur au Witwatersrand Institute for Social
and Economics Research (WISER), il enseigne également au département français
de Duke University (États-Unis). Il est notamment l’auteur de De la
postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine
(Karthala, 2000) et de Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique
décolonisée (La Découverte, 2010, poche 2013).